Le spectacle et le photographe

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    • #366
      André NIHOUARN
      Participant

       

      La salle s’éteint. La scène s’éclaire. C’est parti. Une heure à essayer d’apprivoiser ce que j’ai prévu, une heure à essayer de maîtriser ce que je n’ai pas prévu. Faut assurer. Tout ne pourra pas être mauvais. La chance, ça existe. Et pis s’il n’y a rien, j’invoquerai le défaut technique, le matériel défaillant ou la peur du noir. Je trouverais. Première partie où « La vie est un long fleuve tranquille » se transforme en un « Voyage au bout de l’enfer ». Difficile de tout régler, la vitesse, les isos, le cadrage, les collimateurs, le bougé, le flare, l’exposition. Et tout ceci dans un environnement hostile. Dans un territoire étroit, plus convoité que le couloir de Dantzig en 1939, avec des spots phosphorescents, plus lumineux que les feux de Bengale des retraites aux flambeaux, avec des spectateurs turbulents, plus agités que des cloportes au premier jour de pluie, avec des flashs prohibés, plus aveuglants que des radars d’autoroute non vandalisés, avec des chorégraphies hésitantes, plus imprévisibles que celle de la danse des canards revisitée par le Bolchoï, dans une ambiance sonore au registre sanguinaire, plus trance psychédélique que celui d’une rave party en Basse Bretagne. Bref, du grand art…..

      Et survient l’entracte. Je vais pouvoir tranquillement me poser dans un coin pour regarder mes photos, changer de carte mémoire, vérifier les exifs, nettoyer les objectifs, bref, souffler un peu. Mais « La vie est un long fleuve tranquille » devient cette fois « La horde sauvage ». Parce que pour « eux », l’entracte c’est leur coucher du soleil, le moment de délivrance. A l’inverse des zombies, dès qu’il y a de la lumière, « ils » s’agitent, invectivent, se lèvent, hèlent, bougent, apostrophent, gigotent, interpellent. Le noir, c’est comme la fumée pour les abeilles, la lumière pour les morts-vivants, ou les vacances scolaires pour les poux, ça « les » calme, ça « les » anesthésie. Mais sitôt la lumière allumée, « ils » se dé-léthargisent, et retrouvent de la voix et du geste. Et moi, le photographe béat, me voila embarqué dans « leurs » gesticulations frénétiques et leurs vocalises sauvages.

      Et je me fais bousculer par celui, le hâtif incontrôlable, qui, dans le besoin impératif de rejoindre les toilettes, me broie allègrement les arpions en marmonnant élégamment « Bouge ton c.., photographe de mes deux…», et par celui, le rancunier tenace, qui, ayant été gêné par ma présence, m’aplatit haineusement contre la cloison, en me susurrant gracieusement « T’es pas transparent, l’artiste…», et par celui, le facétieux survolté, qui, toujours à l’affût d’une taquinerie primaire, se croit obligé de me massacrer fougueusement le dos d’une bourrade féroce, en s’exclamant subtilement « Alors, Ducon, on prend des photos…», et par celui, le vorace déterminé, qui, ne concevant pas un spectacle décent à moins de 3000 calories, me colle malencontreusement sa part de Kouign-amann sur le sac photo, en se justifiant hypocritement « C’est du sucre, ça tache pas, y avait plus de gâteau breton…», et par celui, l’érudit lubrique, qui voulant faire étalage de sa culture photographique, me balance perfidement un méchant coup de coude dans les côtes en chuchotant galamment « Alors, David Hamilton, t’as ton compte de p’tites culottes … », et par celui, le maladroit velléitaire, qui, pressé de regagner sa place pour ingurgiter voluptueusement son maxi-gobelet de Coca-Cola, se prend les pieds dans mon sac photo et l’arrose copieusement en bougonnant sobrement « Eh, Yann Arthus-Bertrand, fallait rester dans ta montgolfière…», et par celui, le familier envahissant, qui, assurément convaincu de faire partie du cercle restreint de mes amis, s’autorise à en faire profiter la salle entière en beuglant pompeusement « Alors Dédé, la retraite, ça se passe bien, tu fais des photos …», et par celui, le zélé vigilant, qui, voulant charitablement m’éviter la déshydratation, me tend généreusement un plein-verre débordant de bière tiède, au dessus de mon objectif non tropicalisé, en murmurant timidement « Maitre, Maitre, faire des photos, ça doit donner soif …. », et par celui, le mémorisateur convaincu, qui faisant référence à une possible relation professionnelle ancienne, me désigne d’un doigt jubilatoire en beuglant fièrement « Michouarn c’est ça, docteur Michouarn, vous faites dans la photo maintenant….vous exposez…» Et par celui, le … mais les lumières s’éteignent et … .

      Le noir se fait. La deuxième partie commence. Je suis sauvé. Je pense avoir la paix. J’ai une heure devant moi. Mais « La vie est un long fleuve tranquille » se change en la « La nuit des morts-vivants». « Ils » sont toujours là. Je « les » sens sur ma nuque. Dans le noir « ils » n’oseront pas. « Ils » vont attendre la fin, avec le retour des lumières. C’est des tourmenteurs, des vindicatifs, des haineux. Je partirai avant la fin. La sortie de secours là-bas. « Ils » l’auront repérée aussi. Je subodore un hallali fâcheux. Je renifle un dénouement funeste. Le genre Alésia ou Fort Alamo. Faut s’attendre au pire avec ces gouapes rustiques. Et puis j’ai mal au dos. Je ne sens plus mes orteils. Et je suis sucré-salé. « Ils » m’auront à l’odeur ou à l’allure clopineuse. « Ils » ont de l’obstination. C’est des mules, des bûches, des sournois. Et mon malheureux boitier qui a souffert. La bière et le coca, ça bouffe le plastique. Et mon sac, il est foutu mon sac. Et mon portable qu’était dedans, ma carte de membre de l’APC, et mon pilulier, caramélisés. « Ils » vont recommencer, c’est sûr. « Ils » ont pris goût. Pour le moment « Ils » la jouent public captivé, parents attentionnés, et même passionnés de l’art du ballet, citant Nijinsky et Noureev. Mais ce n’est que fourberie. C’est pas des philanthropes. « Ils » ont aimé l’entracte. « Ils » veulent le rejouer, à la fin du spectacle. Je le sais. Je l’ai vu dans les yeux. Les yeux, ça ment pas.« Ils » me travaillent à l’usure. « Ils » peaufinent l’apostrophe meurtrière et le coup de latte familier. Il faut me barrer. Je m’expliquerais plus tard. J’ai des motifs, des arguments, des raisons. Je trouverais des témoins. J’en achèterais. Et pis j’ai des droits. Il y a la Déclaration de l’homme et du citoyen de 1789, et la convention de Genève de 1864 modifiée en 1949, et les accords de Yalta. « Ils » pourront rien dire. Sinon y a la ciguë de Socrate ou le cyanure de Goering. Le geste aurait de la noblesse, de la gueule. Mais prématuré et prétentieux. Et arbitraire. Pourquoi moi. Moi, je pars quand je veux. Je ne dois rien à personne. Je me suis égaré, c’est tout. Fallait continuer la macro et les paysages. Ou commencer en binôme avec Pierre. Allez, faut partir… maintenant.

      Oui je l’ai vécu. Pareil. Et puis, j’ai gardé des petites choses. Respectant l’anonymat des protagonistes.  J’ai essayé.

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      Pierre tu sauras être indulgent ……..

      André

       

    • #367

      Un régal, comme d’hab. 🙂

      Tu remets ça l’année prochaine … :mrgreen:

      Petite précision : dans la catégorie mort-vivant, seul le vampire craint la lumière et se calme donc la nuit dans son lit capitonné.

      Les zombies ne s’agitent pas plus la nuit que le jour : ça c’est une légende qu’on doit à George A. Roméro (pas le député-gai) à cause du mot qui précédait le titre du premier film du genre (1968), un film en ambiance sombre et tourné en N&B.
      Si tu te laisses emporté par la fièvre du style, tu verras que dans le remake de 1990 ils sont bien plus agités la nuit … 😉

    • #381
      Xavier PINCEDÉ
      Participant

      L’enfer c’est les autres… comme disait Jean-Paul

       

    • #382
      Xavier PINCEDÉ
      Participant

      Dans la série référence cinématographique, il y a un petit coté « Body snatchers »… Abel Ferrara 1993, le remake d’un remake…

      Je laisse le soin au sieur Pfister de compléter en détails.

    • #383

      « Dans la série référence cinématographique, il y a un petit coté « Body snatchers »… Abel Ferrara 1993, le remake d’un remake… »

      C’est bien trouvé.

      « Je laisse le soin au sieur Pfister de compléter en détails. »

      On pourrait disserter des heures sur le sujet, finalement d’actualité avec la montée des extrêmes et le terrorisme. Le livre de Eric Z. serait-il le troisième remake ?

      Bref, je préfère tout de même le film de 1978 avec Jeff Goldblum, Léonard Nimoy et un Donald Sutherland flippant dans la scène finale.

      Par contre, la vraie question c’est « qui sont les Body Snatchers ? » : André ou « les autres » … ça fout trouille … 😯

    • #389
      Karine
      Participant

      je m’excuse je n’ai pas pris le temps de lire… par contre j’ai regardé et admiré les photos, magnifiques , Ouah. Tu donnes des cours ?

      respect.

    • #399

      Bravo André

      De bien belles photos pour un débutant dans ce domaine !!

      Amicalement Yvan

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